Antonin Betbeze
Antonin Betbeze a connu une destinée hors du commun. Son parcours pendant la Seconde Guerre mondiale est marqué du sceau de la détermination dans la lutte pour la liberté et pour sa patrie. Ses multiples tentatives d’évasion des Oflags dans lesquels il était prisonnier, sa volonté de rejoindre à tout prix les forces en lutte contre l’envahisseur nazi, au contact de la Résistance au cœur de son Sud-Ouest natal, puis auprès des FFL (Forces Françaises libres) en Afrique du Nord puis en Angleterre, sa participation aux combats de la Libération dans le Nord de la France puis en Hollande, voilà qui vous pose un homme. Un homme reconnu par le plus prestigieux de ses pairs, le Général de Gaulle, qui en fit, une fois le conflit terminé, un des 1038 compagnons de l’Ordre de la Libération, le seul natif des Hautes-Pyrénées et un des trois inhumés dans le département avec Paul Courounet et Thadée Diffre[1]
[1]https://www.landrucimetieres.fr/spip/spip.php?article4950
PREMIÈRE PARTIE – LA LIBERTÉ
I/ Ses débuts dans l’armée
Naissance à Juillan et service militaire (1910-1933)
Antonin Betbeze naît à Juillan le 6 septembre 1910, d’un père, Antoine, François, que l’état civil désigne comme propriétaire et d’une mère, Galau Marie-Madeleine, sans profession. Il obtient son baccalauréat à une période où ce diplôme est réservé à une élite et se destine à rentrer dans la marine marchande. Il effectue d’abord son service militaire à 21 ans. Il intègre, le 20 octobre 1931, le 124ème régiment d’infanterie (source mémorial FAFL) ou le 127ème régiment d’infanterie dont les garnisons se trouvent à Carcassonne et Castelnaudary (source : Les Français libres des Hautes-Pyrénées). A la fin de son service militaire en 1933, il atteint le grade de caporal-chef.
Parcours dans l’armée avant-guerre (1934-1939)
A la suite de son service militaire, il choisit d’incorporer l’armée dans le 6ème régiment de tirailleurs sénégalais (6ème RTS) en avril 1934, au Maroc. Il intègre l’école militaire d’infanterie et des chars de combat de Saint-Maixent-l’Ecole quatre ans plus tard, afin de devenir officier[1]. Il sort de sa formation au grade de sous-lieutenant.
La drôle de guerre
Antonin Betbeze est affecté au 6ème régiment d’infanterie coloniale (6ème RIC) qui avait été dissous le 1er mars 1923 pour être recréé au moment de la mobilisation, le 2 septembre 1939[2], à Dreux et Nogent-le-Rotrou. Il devient le 6ème régiment d’infanterie coloniale mixte sénégalais (6ème RICMS) le 16 avril 1940 après l’intégration de trois bataillons sénégalais. Le 6ème RIC est rattaché à la 6ème division d’infanterie coloniale (la 6ème DIC qui est composé de 6 régiments).
Lorsque la guerre est déclarée le 3 septembre 1939, suite à l’invasion de la Pologne, les premiers mouvements ne tardent pas pour la 6ème DIC : « vers le 10 septembre 1939, les mouvements de concentration par voie ferrée amène la division dans la région de Morhange où elle cantonne et s’organise »[3]. Le 6ème RIC participe aux premières timides offensives en Sarre qui coutent la vie à plusieurs soldats.
Le 15 octobre, la division part à l’instruction à Neufchâteau pour un mois puis fait route le 24 novembre vers le Nord de Sarrebourg, Le 6ème RIC relève la 31ème division d’infanterie, dans le secteur de Rohrbach, occupant le sous secteur est. On est alors dans la « drôle de guerre » où les armées se font face sans combattre mais pas sans affecter le moral des troupes. « La mission est essentiellement défensive, cette période est aussi très dure, nous l’avons déjà signalé à propos des autres divisions, à cause du froid tout à fait exceptionnel de cet hiver très rigoureux. »[4]
II/ Un soldat en plein cœur de la tourmente
Les combats de mai/juin 1940
Le 10 mai 1940, l’offensive allemande débute. La 6ème DIC est mise en alerte le 14 mai avec pour mission de former un front entre la Meuse et l’Aire. Plus précisément, le 6ème RICMS est positionné à l’Est du bois de Franclieu où il subit les premiers assauts et de nombreuses pertes causées par les bombardements de l’artillerie allemande. Le 23 mai, les assauts ennemis redoublent mettant en sérieuses difficultés la 6ème DIC qui est relevée le 26 mai. Elle passe en réserve de la 2ème armée. La résistance a néanmoins permis d’éviter la percée du front sur la ligne défendue par la 6ème division. Le bilan est lourd. Près de la moitié des effectifs ont été éliminés : «121 tués dont 26 officiers – 383 blessés – 14 évacués – 200 disparus, au total 718 »[1]. Ces chiffres témoignent de la violence des combats de mai-juin 1940. Si la campagne de France a été brève, elle a été particulièrement meurtrière.
[1]https://www.landrucimetieres.fr/spip/spip.php?article4950
[2]https://www.info-militaire.fr/regiments/ecole-nationale-des-sous-officiers-dactive
[3]https://www.emsome.terre.defense.gouv.fr/index.php/fr/regiments-ft-ome/189-6eme-bima?showall=1
[4] http://www.ardennes1940aceuxquiontresiste.org/?page_id=847
Les 9 et 10 juin, la 6ème DIC est envoyée à l’ouest de l’Argonne, le 6ème RICMS étant positionné entre entre Séchault et Sommepy. C’est là que se déroulent les derniers combats fatidiques pour le régiment d’Antonin Betbeze. Si la 6ème DIC est contrainte à la retraite, les soldats sous les ordres d’Antonin Betbeze font preuve d’un courage exceptionnel, particulièrement les soldats coloniaux dont il souligne le courage dans son ouvrage autobiographique, Qui ose gagne. Il nous fait part de ce 12 juin où il est fait prisonnier. Après deux jours de repli, il est chargé de créer un point d’appui entre Sainte-Menehould et Arcueil. Entre 15 et 16h, les premiers tirs sont échangés avec les positions allemandes. L’orage rend les opérations difficiles : la boue, les armes qui s’enrayent, la supériorité de l’artillerie allemande ont raison du 6ème RICMS.
La capture
Encerclé par les troupes allemandes, Antonin Betbeze reçoit un coup de crosse dans le dos, finit par être capturé et présenté au capitaine allemand. Les propos de ce dernier, rapportés par Antonin Betbeze, reflètent l’idéologie raciste de l’Allemagne nazie (« C’est un déshonneur de commander les « negers »sauvages contre une nation civilisée[1] ») alors qu’il avait lui-même souligné courage de ses troupes coloniales, notamment d’un de ses seconds, Mamadou Diallo, tombé au combat (« ce chef indigène héroïque »). Une fois conduit au P.C. allemand, il est interrogé sans donner les informations stratégiques que souhaitent avoir les Allemands.
Le groupe de prisonniers composés de tirailleurs sénégalais et de spahis marocains part alors pour plusieurs jours de marche, privés de vivres et dans des conditions physiquement et moralement très éprouvantes : « Nous avions les pieds sanglants, le ventre vide et la soif raffinait notre torture, car il nous était défendu de boire. Des camions pleins de caisses de champagne nous dépassaient, les chauffeurs lançaient au passage des bouteilles aux Allemands qui les vidaient le défi à l’œil pour augmenter notre supplice[1] ». Au fil des journées de marche, les colonnes de prisonniers s’étoffent et chacun peut observer les dégâts causés par les combats : cadavres de chevaux, tombes de soldat creusés dans l’empressement … Surtout, les exactions commises marquent le Lieutenant Betbeze : menaces en cas d’évasion de tuer 10 prisonniers, brutalités à l’encontre des tirailleurs, exécutions sommaires (même si Antonin Betbeze n’en a pas été un témoin direct).
Après deux jours de pause dans leur périple, les prisonniers sont transférés vers la Belgique, à Givet, dans un fourgon à bestiaux. Là, ce sont plusieurs centaines de prisonniers qui sont débarqués pour regagner Beauraing, à 10km de là. Déjà, l’idée d’évasion germe dans l’esprit d’Antonin Betbeze mais il a bien conscience que l’affaiblissement des corps dû aux privations et aux journées de marche vouerait toute tentative à l’échec.
[1] Ibid
[1] Antonin Betbeze, Qui ose gagne,
Prisonnier dans les Oflags
Le train dans lequel est embarqué Antonin Betbeze traverse la Belgique, le Luxembourg, remonte la Moselle jusqu’à Trèves puis Mayence. Les officiers sont alors aiguillés soit vers la Poméranie, soit vers la Silésie. Pour Antonin Betbeze, ce sera la Poméranie, à quelques kilomètres de la frontière polonaise. Il est conduit vers l’oflag II D (près de Westfalenhof, aujourd’hui Klomino, ville fantôme en Pologne), dans des conditions horribles, les prisonniers étant entassés à 50, sans commodités dans des fourgons à bestiaux. Finalement, l’arrivée au camp est perçue presque comme un soulagement.
Les Oflags sont l’abréviation d’offizierlager (camp pour officier). Durant la Seconde Guerre mondiale, ce sont des camps de détention allemand pour les prisonniers de guerre au statut d’officier. Les stalags sont l’équivalent, pour les prisonniers de guerre non officiers. Au total, ce sont presque deux millions de prisonniers de guerre qui sont envoyés vers ces deux types de camps.
Antonin Betbeze décrit avec précision dans son récit autobiographique les conditions de vie dans l’Oflag :
« Nous fûmes entassés à quarante-huit dans des chambres de sept mètres sur sept, meublées de deux tables et de seize châlits à trois couchettes superposées. Couchette est un bien joli nom pour désigner la paille réduite en poussière et infectée de poux qui avait déjà servi à des détenus en concentration avant la guerre et à des soldats polonais depuis la campagne de Pologne. Si repoussante fût-elle, cette paille fut bien venue pour recevoir nos os meurtris. Il fallait attendre dans une colonne de deux mille officiers (il y avait trois blocs à peu près équivalents, soit six mille officiers dans l’Oflag), trois heures durant, sous un soleil implacable que nous fût donné la louche de choucroute (de dernière qualité évidemment) ou l’orge bouillie[1]. »
[1] ibid
Pendant trois mois, Antonin Betbeze vit ces conditions très compliquées. La faim, la dysenterie sont des épreuves terribles, mais plus que tout, c’est l’absence de nouvelles qui est le plus difficile, notamment celle de ses proches et de son frère également soldat. Il apprend malheureusement le 9 septembre au cours de sa détention, par une lettre de sa fiancée, la mort au combat de Jean dont une rue à Juillan honore sa mémoire. Un autre mal qui est souligné est l’oisiveté, aussi les prisonniers occupent-ils leur temps à de nombreuses activités qui les raccrochent au vivant : parties de football, travaux divers et notamment ceux utiles pour de futurs évadés comme la réalisation de costumes pour passer pour un civil une fois évadé du camp, la falsification de papiers d’identité ou la reproduction de cartes géographiques pour établir un trajet fiable vers la France.
Finalement, en soudoyant un cantinier allemand, Schmidt, et son assistante, Krasman (qui sont d’ailleurs, pour cette raison, condamnés à mort pour l’un et à 7 ans de réclusion pour l’autre), Antonin Betbeze reprend peu à peu des forces (1)
au point de songer sérieusement à ses premiers projets d’évasion. Ces réflexions occupent alors largement sa pensée : a-t-on le droit, voire le devoir de s’évader ? S’évader, est-ce déserter ? Tous les moyens sont-ils bons pour s’évader ?
(1) Les prisonniers de guerre continuent de toucher une rémunération mais dans une monnaie qui ne peut être utilisée que dans les camps, ce qui donne lieu à diverses transactions plus ou moins légales.
Les tentatives d’évasion
Pour Antonin Betbeze, malgré les reproches parfois même des codétenus qui craignent les représailles allemandes en cas de tentative, l’évasion est plus qu’un droit, davantage qu’un devoir, c’est une loi naturelle. « Notre tenue et notre comportement en captivité, nos évasions lorsqu’elles furent tentées, portent de graves préjudices à nos camarades. C’est un fait, un fait malheureux et déplorable. Mais la captivité, c’est la guerre. Et la guerre nous oblige à en accepter toutes les conséquences, la mort y comprise. Il ne faut pas que la captivité apparaisse au combattant comme un hâvre sûr où sa vie est à l’abri. Ce serait la rendre attrayante et désirable aux moments critiques du combat. En captivité, la bataille continue. Les vrais combattants l’admettront facilement[2]. » Il détaille par la suite une sorte de vade-mecum pour réussir une évasion. Il distingue trois temps : la conception, la préparation et l’exécution. Il propose même des schémas détaillés d’appareils destinés à ventiler l’air dans les tunnels creusés pour s’évader, de traineaux pour évacuer les déblais ou des coffrages pour éviter l’effondrement. Il faut dire qu’en tentatives d’évasion, Antonin Betbeze est passé maître dans cet art, au vu de ses nombreux essais.
[1] Les prisonniers de guerre continuent de toucher une rémunération mais dans une monnaie qui ne peut être utilisée que dans les camps, ce qui donne lieu à diverses transactions plus ou moins légales.
[2] Op. cit.
La première tentative a lieu dès le 1er décembre 1940 en essayant d’intégrer les rapatriés sanitaires du camp qui s’apprête à partir vers la France. Il est reconnu par d’autres officiers français, peu discrets et un peu trop curieux de sa présence sur le lieu de départ. Antonin Betbeze préfère renoncer à son entreprise, trop risquée à ses yeux.
Une des tentatives les plus abouties à lieu le 6 août 1941. Il fait équipe avec un de ses camarades (Bloy). L’objectif final prévoit de rejoindre l’URSS. Les deux partenaires espèrent profiter d’un temps de baignade et de promenade pour filer à l’anglaise. L’opération est presque réussie puisque vers 11h du soir, ils parviennent à quitter le camp sans se faire repérer. Ils attendent le lendemain matin le passage du train pour monter à contre-voie. Mais au moment de grimper dans un wagon, ils sont repris par un soldat allemand, ce qui leur vaut quelques jours d’enfermement.
Plus tard, les premières évasions par tunnels sont couronnées de succès. C’est décidé, c’est par ce moyen que les chemins de la liberté seront trouvés. Mais ce sera dans un nouveau cadre. En effet, les officiers français sont transférés de l’Oflag II D vers l’Oflag II B (à Arnswalde, aujourd’hui Choszczno en Pologne) à partir du 27 mai 1942, officiellement pour améliorer les conditions de détention, plus sûrement pour mieux contrôler les tentatives d’évasion. Dans ce camp, les infrastructures sont beaucoup plus difficiles à pénétrer par rapport au précédent où la terre était plus sablonneuse. Fin juillet, les prisonniers observent que la descente du chauffage central fait l’objet d’une attention particulière de la part des gardes. C’est sans doute qu’il y a là une faiblesse à exploiter. Une dizaine de prisonniers fait une première tentative en perçant le murage donnant accès aux canalisations. Mais sans doute par dénonciation, le camouflage du trou dans le mur est découvert.
Ce revers n’entame pas la détermination des candidats à l’évasion. La canalisation principale passe dessous une chambre. Pour l’atteindre, il faut percer le plancher, puis une couche de ciment avec des instruments de fortune, puis une couche de 50 cm. de terre et de nouveau une couche de béton et son armature (cf. plan réalisé par Antonin Betbeze). A force de persévérance, la percée vers la canalisation est finalisée. L’évasion peut enfin avoir lieu, elle est planifiée dans la nuit du 10 au 11 août 1942.
III/ De l’Oflag vers la Suisse et la liberté.
L’équipée à travers l’Allemagne
Une dizaine de prisonniers (Bloy, Brossard, Danrée, Legendre, Morvan, Aubert, Betbeze notamment) se répartissent en binômes pour qu’une fois hors du camp, chacun passe incognito. S’il aurait préféré agir seul pour plus de discrétion, Antonin Betbeze fait finalement équipe avec un breton nommé Morvan. Le soir du 10 août 1942, l’équipe s’engouffre dans l’étroit passage pour parvenir, non sans mal, à une trappe de visite des canalisations. Au moment de sortir vers la pièce où débouche la canalisation, une troupe allemande fouille cette pièce sans rien trouver d’anormal. La voie est alors dégagée et la trappe peut être ouverte pour laisser sortir les évadés. Hélas, ça sera sans Bloy et Brossard, perdus dans le dédale des canalisations.
« Un bond : nous franchissons la zone dangereuse et nous atteignons des fourrés dans lesquels nous nous dissimulons contre la palissade des barbelés. Nous nous faisons la courte échelle et un par un nous retombons de l’autre côté dans un champ de pomme de terre. En sautant, ma main s’accroche aux ronces du barbelé qui en déchirent la paume. Je n’en ressens aucune douleur : la liberté reconquise est un incomparable anesthésique. Ma poitrine se gonfle de bien-être et de satisfaction. Peut-être ne sommes-nous libres que pour quelques heures, quelques minutes, mais l’impression ressentie n’en est pas moins aussi forte que si nous étions libres pour toujours.[1] »
L’équipe se scinde alors selon les couples prévus. A travers champs, Antonin Betbeze et Morvan regagnent le chemin qui les mène à la route de Berlinchen puis à la gare. Deux kilomètres avant la station, le train les dépasse avant qu’ils n’arrivent. Il faudra rester caché toute la journée du 11 août dans la campagne environnante. Le lendemain, Morvan peut acheter des billets et, cette fois, la montée dans le train se passe sans encombre. A 11 heures, ils sont à Francfort-sur-l’Oder puis rallient Dresde dans l’après-midi. Le soir, ils cherchent à manger dans un restaurant. Les rudiments d’allemand que maîtrise Antonin Betbeze sont un atout dans la traversée du pays. Il n’empêche, le serveur reconnait leur origine mais les prend pour des travailleurs volontaires et ne se formalise pas de leur présence. Il leur indique même un café fréquenté par des Français : l’Atlantic. Il s’avère être en réalité un bar fréquenté par des « filles de joie » dans lequel les deux partenaires échappent à une descente de police. La nuit passée dans un terrain vague, ils reprennent la voie ferroviaire sans encombre par Chemnitz, Plauen et Hof. Pour l’heure, l’inquiétude réside dans les pieds très endoloris d’Antonin Betbeze, victime d’ampoules qui lui laissent la peau à vif. Le 14 août, la route se poursuit vers Nuremberg puis Treuchtlingen.
Ils sont alors en Bavière à quelques dizaines de kilomètres de la frontière suisse. La surveillance policière dans le train devient plus active mais la foule du 15 août permet aux deux évadés de passer inaperçus. Arrivés à Augsburg, ils prennent un nouveau train pour Füssen, certes plus éloigné de la frontière que Reutte où ils pourraient descendre, mais qui apparaitra moins suspect. Les voilà aux pieds des montagnes alpines. Face à elles, Antonin Betbeze éprouve la nostalgie de ses Pyrénées mais aussi de la crainte face à des sommets aussi majestueux qu’effrayants. Il ne connait que trop bien les difficultés à s’orienter et à progresser en milieu montagnard.
Les Alpes infranchissables
Le trajet entre Füssen et Reute se fait à pied, puis l’objectif, en suivant la vallée du Lech, est d’atteindre celle de l’Inn pour parvenir à Landeck. Les difficultés qu’envisageaient Antonin Betbeze sont bien réelles. La fatigue, la perte de repères portent sur les nerfs des deux associés qui en viennent à se disputer sur la route à suivre. Finalement, la vallée de l’Inn est atteinte puis le village de Lermoos, le col du Fernpass, le village d’Imst. Ils ne sont plus qu’à 20km de Landeck, 60 ont déjà été parcourus depuis leur descente du train à Füssen. Nous sommes dans la soirée du 16 août 1942.
Au moment de sortir d’Imst, ils sont interpelés par un homme étonné par la démarche boitillante d’Antonin Betbeze. Il lui demande ses papiers mais son ausweis n’est qu’une reproduction médiocre censée les faire passer pour des ingénieurs belges en poste à Augsburg. Hélas, cet homme est une commissaire militaire qui les contraint à les suivre à la gendarmerie. La supercherie est vite démasquée, après un appel à Augsburg. Morvan et Betbeze finissent par avouer qu’ils sont bien des prisonniers français mais s’inventent une autre identité (adjudant Ollivier et sergent Leroux) et une autre provenance (Stalag VIII C). Les deux sont enfermés dans une loge à cochons avant d’être conduits le lendemain au stalag de Landeck. Dès leur arrivée, ils complotent avec d’autres prisonniers une nouvelle évasion, d’autant qu’ils doivent être conduits à Markt Pongau près de Salzbourg. Deux jours seulement sont nécessaires pour la planifier avec l’aide d’un Béarnais dénommé Bonnemain qui leur fournit une carte pour rejoindre la Suisse : 80 kilomètres de marche à prévoir.
Le 19 août, ils sont réveillés à 4 heures du matin pour regagner leur nouveau lieu d’internement. 23 personnes en colonne s’ébranlent. Antonin Betbeze a repéré la topographie des lieux lors de leur arrivée à Landeck et l’étroit sentier par lequel il pourrait fausser compagnie à ce groupe. Arrivé à l’endroit prévu, il dévoile à Morvan ses intentions. Discrètement, Antonin Betbeze quitte la colonne tandis que Morvan se cache dans une haie sans être découvert. Le plan a fonctionné.
[1] Ibid.
Il faut de nouveaux s’attaquer à ces montagnes où les obstacles sont nombreux : pentes abruptes, végétation qui rend les appuis glissants, chalets à contourner largement pour ne pas être repérés, orages, froid … La première nuit après l’évasion de Landeck approche et, après une journée harassante Morvan et Betbeze trouvent opportunément une cabane, même si le froid les oblige à rester près du feu sans parvenir à dormir. La deuxième journée de marche est tout aussi harassante. Elle est suivie d’une nuit sous les branches d’un sapin : des conditions spartiates mais la fatigue est telle que le sommeil vient naturellement.
Le lendemain (21 août), à peine le chemin repris, les deux fugitifs sont interceptés par deux gardes-frontières à qui ils expliquent qu’ils travaillent à Landeck. Ces derniers leur proposent de les raccompagner jusque là. Dans le village de See, ils apprennent que les autorités allemandes sont à la recherche de deux prisonniers français et d’une troupe serbe et qu’il faut amener les deux Français à Pians, à 7km de Landeck. Le village est atteint vers 17 heures. Antonin Betbeze et Morvan sont mis à la disposition de la gendarmerie qui les ramène à Landeck. Retour à la case départ !
Dès lors, les deux réévadés sont particulièrement surveillés. Cette fois, ils sont bien transférés au camp de Markt Pongau où ils subissent un traitement spécifique : esseulés dans une chambre, interrogatoires, dépouillés de leurs effets personnels avant d’être conduits vers la prison des évadés comprenant environ 150 Français et Serbes, dans des conditions insalubres (punaises, crasse, puces, promiscuité). Le 29 août, ils sont convoqués par l’Abwehr (service de renseignement militaire) avec la crainte que les mensonges (fausse identité) des premiers interrogatoires n’aient été découverts. Ils comprennent qu’il faut agir vite.Avec la complicité d’un médecin français du camp (le lieutenant Nouailles), ils arrivent à se rééquiper (vivres et costume civil) pour tenter une nouvelle évasion. Le soir du lundi 31 août, ils parviennent à cisailler les barbelés et sont recueillis à l’infirmerie. Le Docteur Nouailles leur fournit les brassards pour intégrer la colonne des employés à l’extérieur du camp. Le matin, ils quittent Markt Pongau.
Antonin Betbeze et Morvan marchent jusqu’à Saalfelden où ils prennent deux billets de train pour Innsbruck. Ils descendent juste avant la capitale du Tyrol, à Rum. Ils trouvent un hangar pour passer la nuit à l’abris de la pluie qui les a trempés jusqu’aux os. Le 2 septembre, ils prennent deux nouveaux billets pour Pians, au-delà de Landeck. Par inadvertance, ils descendent à la station précédant Pians. Une nouvelle marche les conduit dans la vallée de la Trisana mais assez vite ils sont arrêtés près d’une auberge par deux gardes-frontières. Antonin Betbeze cherche à les leurrer en se faisant passer pour deux ouvriers travaillant à Landeck et allant rendre visite à un collègue à Kappl. Même s’il se montre très convaincant, les deux gardes-frontières sont contraints de les conduire à See pour téléphoner à Landeck et vérifier l’authenticité de l’histoire. Evidemment, pas de Leroux, ni d’Ollivier sur les registres. Pour prouver la véracité de ses dires et ne pas être reconduits à Landeck, Antonin Betbeze leur propose de se faire amener à Kappl pour être confronté à ce soi-disant collègue. La proposition est acceptée.
Vers la liberté
Arrivés à la gendarmerie de Kappl, Morvan préfère donner sa véritable identité pour ne pas porter préjudice aux véritable Leroux et Ollivier (à la surprise des deux gardes-frontières). Enfermés en simples sous-vêtements dans une pièce à l’étage, Antonin Betbeze parvient à glisser dans une couverture un pantalon et ses chaussures, ce que ne fait pas Morvan. Dans la nuit, Il réussit à ouvrir la fenêtre qui le sépare de la liberté mais il est contraint d’abandonner Morvan à son sort. Sans effets, impossible de prendre la route vers les montagnes escarpées. C’est là que les chemins des deux hommes se séparent définitivement.
Désormais seul, Antonin Betbeze regagne une grange pour attendre l’aube. La journée de marche qui suit permet à Antonin Betbeze de repérer les données du plan que Morvan avait recopié à la prison de Landeck, notamment deux postes-frontière à éviter. Il retrouve en fin de journée une grange à foin dans laquelle il reprend des forces avant de sortir pendant la nuit pour atteindre le précieux sésame : un torrent qui marque la frontière entre la Suisse et le Reich. Une fois, la montagne gravie et la vallée parcourue, tout indique que la Suisse est atteinte. La toponymie des lieux n’est plus germanique mais italienne. Pour en être assuré, il interpelle une femme qui lui indique être à Compatch, petit village suisse dans la vallée de Samnaum. La Liberté enfin ! Après tant de péripéties !
Il suit la femme à l’église où elle se rend. Là, il reçoit du curé puis du médecin un accueil qu’il n’avait osé espérer et qu’ils réservent à tous les évadés passant par leur village. Il est temps de regagner la France par Annemasse et retrouver sa Bigorre natale.